L'employeur jugé coupable d’une faute « inexcusable » après le suicide d’un salarié
Dans un arrêt du 10 mai 2012, la Cour d’appel de Versailles considère que Renault n’a pas pris les mesures nécessaires pour préserver le salarié du danger auquel il était exposé en raison de la pénibilité avérée de ses conditions de travail et de la dégradation de celle-ci.
CA Versailles, 10 mai 2012, n° 10/05488, Tizon et a. SA c/ Renault et a.
Dans un arrêt du 10 mai 2012, la 5ème chambre de la Cour d’appel de Versailles considère que « Renault n’a pas pris les mesures nécessaires pour préserver le salarié du danger auquel il était exposé en raison de la pénibilité avérée de ses conditions de travail et de la dégradation de celles-ci ».
Le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Versailles avait écarté en première instance en novembre 2010 la « faute inexcusable » de Renault pour expliquer la mort de cet homme, employé comme technicien informatique sur le Technocentre de Guyancourt (Yvelines).
Avec cet arrêt, la Cour d’appel de Versailles confirme le danger pour l’employeur, en cas de suicide qualifié d’accident du travail, de se voir accuser de faute inexcusable.
I. La qualification en accident du travail
Pour être qualifié d’accident du travail, le suicide doit, conformément aux dispositions de l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale, et quelle qu’en soit sa cause, survenir par le fait ou à l’occasion du travail. Il doit donc intervenir au temps et au lieu du travail.
Qu’en est-il en cas de suicide intervenu en dehors du temps et du lieu de travail ? Il peut également être qualifié d’accident du travail si les ayants droit de la victime rapportent la preuve du lien avec le travail.
C’est ce qu’a jugé pour la première fois la Cour de cassation dans un arrêt du 22 février 2007 dans un cas de suicide intervenu au domicile du salarié, alors que celui-ci se trouvait en arrêt maladie. Elle affirme qu’« un accident qui se produit à un moment où le salarié ne se trouve plus sous la subordination de l’employeur constitue un accident du travail dès lors que le salarié établit qu’il est survenu par le fait du travail » (Cass. Civ 2ème, 22 février 2007, n° 05-13.771).
Elle a également retenu la qualification d’accident du travail dans le cas d’une rupture d’anévrisme d’une salariée se rendant à son travail dès lors que la victime, qui s’apprêtait à reprendre son activité professionnelle, se trouvait en état de stress ce jour-là, et que la caisse primaire d’assurance maladie ne rapportait pas la preuve que l’accident avait une cause totalement étrangère au travail. La présomption d’imputabilité édictée par l’article
L. 411-1 du code de la sécurité sociale dont bénéficiait la salariée n’était donc pas détruite (2e Civ., 5 juin 2008, pourvoi n° 07-14.150).
Cependant, la qualification en accident du travail ne permet qu’une indemnisation forfaitaire des ayants droits de la victime, excluant par là-même une réparation de l’ensemble des préjudices subis (tel que le préjudice personnel lié aux souffrances physiques avant le suicide, le préjudice moral, esthétique, économique...). Elle exclut l’action en responsabilité civile à l’encontre de l’employeur.
D’où la tentation grandissante de faire reconnaître dans de telles hypothèses une faute inexcusable de l’employeur.
II. La qualification de faute inexcusable de l’employeur
En effet, la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur permet d’obtenir la majoration de la rente, conformément aux dispositions de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, de telle sorte que le total des rentes et des majorations ne puisse pas dépasser le montant du salaire annuel. Depuis une décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 n° 2010-8 QPC et un arrêt de la Cour de cassation de 2011 (Cass. 2ème civ., 30 juin 2011, n° 10-19.475), cette reconnaissance ouvre également droit non seulement à la réparation de l’ensemble des chefs de préjudice énumérés par l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, mais également de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale.
La faute inexcusable de l’employeur est définie par la jurisprudence comme un manquement à son obligation de sécurité de résultat.
En vertu du contrat de travail qui le lie à son salarié, l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat envers celui-ci. Ainsi, l’article L. 4121-1 du Code du travail énonce que l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer et protéger la santé physique et mentale de ses salariés.
De façon générale, le manquement à cette obligation revêt le caractère d’une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. A cet égard, il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été ou non la cause déterminante de l’accident survenu au salarié. Il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage. Les ayants droits de la victime doivent donc caractériser la conscience du danger de l’employeur et l’absence de mesures de protection.
Dans cet arrêt, la Cour d’appel de Versailles a accordé au père de la victime la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et pris en compte la souffrance personnelle du salarié avant son suicide en octroyant 5.000 euros pour chacun des ayants droit à titre d’indemnisation.
Après une vague de suicides de salariés du Technocentre de Guyancourt en février 2007, le Parquet de Versailles avait ouvert une enquête préliminaire, classée sans suite en janvier 2009.
La troisième espèce vient de donner lieu à un jugement du Conseil de Prud’hommes de Versailles du 30 mai 2012, dans lequel le Conseil de Prud’hommes de Versailles a alloué à Mme D. la somme de 5.000 euros sur le fondement du droit de mener une vie familiale normale reconnu par le Conseil constitutionnel et consacré par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.
Dans ces deux espèces, il est frappant de constater que les juges retiennent l’absence de contrôle de la charge et des horaires de travail du salarié comme facteur ayant contribué à une dégradation continue des conditions de travail du salarié.
La problématique des risques psychosociaux doit donc être prise très au sérieux par l’employeur, compte tenu des conséquences très dissuasives que cela peut entraîner d’un point de vue sanctionnateur et indemnitaire.